Mon cœur est t’a toué

Publié le 25/07/2025

Je reçois cette lettre en provenance du village de Lalouvesc, en Ardèche (beau port de mer, s’il en fut) :

« Monsieur Houatfeu, je lis dans la presse des articles sur la mode du détatouage, qui suit celle du tatouage. Nul doute que vous aurez remarqué cette tendance, puisque je sais que vous suivez de près et avec une belle acuité l’actualité la plus sérieuse de notre temps (enfin, presque, NDLR). Je voudrais à cette occasion vous narrer la terrible anecdote relative aux tatouages qui avait secoué notre commune, d’habitude sans histoire. Lorsque j’étais jeune, dans les années cinquante du vingtième siècle, un vieux Jésuite français qui avait pendant des années, en vain, tenté d’évangéliser les habitants d’un petit village de peuplades Nyaneka-Humbe du Sud de l’Angola, à la frontière de la Namibie, était venu passer la fin de sa vie dans la communauté jésuite de Lalouvesc. Au moment où il quittait le pauvre village angolais, assez amer à cause de son échec, les habitants de celui-ci, peu rancuniers, lui avaient fait cadeau pour le consoler d’un magnifique tatouage de lion d’Angola sur l’avant-bras. Le missionnaire âgé avait ensuite coulé des jours tranquilles (c’est le moins qu’on puisse dire des jours de Lalouvesc, NDLR), jusqu’à ce jour fatal où le lion, rendu furieux pour je ne sais quelle raison, l’avait agressé très violemment. Cette bête sauvage lui avait arraché d’un coup de gueule son bras non tatoué puis avait labouré sa poitrine de ses griffes acérées. Il avait fallu transporter d’urgence le pauvre homme en ambulance jusqu’à l’hôpital d’Annonay pour le soigner, puis l’y faire détatouer dans un salon de tatouage dont Lalouvesc ne disposait alors pas (c’est toujours le cas, NDLR). Au préalable, Monsieur le Curé avait eu l’heureuse initiative de dessiner une muselière au feutre noir autour de la gueule du félin, qui continuait à rugir de manière inquiétante. Le souvenir de ce traumatisme d’enfance me fait comprendre ceux qui ont recours au détatouage, compte tenu des risques inhérents à cette ancienne pratique tahitienne, risques graves dont nos journaux, hélas, ne se font pas assez l’écho, sans doute pour ne pas inquiéter la partie de notre population qui est lourdement tatouée ».

Je ne lui réponds pas, car cette histoire me semble relever du délirium tremens qui enflamme trop souvent les esprits de nos communes montagneuses les plus isolées. Toutefois, après avoir lu sa lettre, je suis allé me faire détatouer en douce le lynx du Canada que je m’étais fait faire sur un bras, pendant les vacances du début d’été à Chibougamau, une ville du Nord-du-Québec, car je trouvais qu’il me regardait avec un drôle d’air, depuis peu.