C’est du Sud de l’Italie que m’est parvenue ce matin une lettre dont j’ai le plaisir de partager le contenu ici.
« Caro Houatfeu », m’écrit ce correspondant du Mezzogiorno, « ce qui se passe depuis le début de l’année à Washington est pour nous, Italiens, un véritable délice. Les journaux américains et européens sont pleins de commentaires indignés sur les procédés du Président et de ses sbires, qui ressembleraient à ceux de la mafia (la main noire, black hand ou mano nera italo-américaine, Hak Sh’e Wui pour les Cantonais). Leurs demandes ressortiraient de la méthode « argent contre protection ». Un journal en ligne va jusqu’à dire qu’avec eux, l’extorsion aura raison du rêve américain. Poverini, nous les Italiens, surtout du Sud, cela fait des siècles que nous vivons avec, et certains d’entre nous de, l’extorsion. Nous lui avons même donné un petit nom, il pizzo, du mot sicilien pizzu, le bec de l’oiseau et de l’expression sicilienne fatici vagnare ù pizzu, fais toi rincer le bec, ou va t’abreuver chez les commerçants qui paient le pizzo, l’argent de la protection. Jusque là, pour nous, rien d’extraordinaire, donc, à ce que le Président des USA se rince le bec chez les européens: payez moi (droits de douanes, achats de pétrole et de gaz, etc.), sinon je ne vous protège plus. Mais mes amis siciliens trouvent qu’il est encore plus malin que nos mafiosi, car il demande l’argent de la protection et que les Européens payent pour les armes qui les protégeront, comme si nos mafieux nous demandaient aussi du fric pour acheter leurs flingues. Bravo, bravissimo, ma, quel artiste, le Donald, no, s’exclame-t-on ici, où il est appelé avec affection Trumpizzo. Comment faire, pour lutter contre? Eh bien, en 2004, une association s’est créée à Palerme, Addiopizzo, pour Adieu à l’extorsion. Elle réunit des commerçants, entrepreneurs et consommateurs qui refusent de payer il pizzo ou de se fournir chez ceux qui le paient. Le mouvement s’est étendu à toute la Sicile, puis en 2006, en Calabre, s’est ouvert un chapitre d’Addiopizzo qui, en 2012, avait été reçu par un Comité de l’Union Européenne pour la lutte contre l’extorsion. Ils ne pourront donc pas dire qu’il n’étaient pas prévenus, à Bruxelles! Alors, qu’est-ce qu’on attend pour imiter les Canadiens, boycotter les produits américains et développer le commerce entre pays qui refusent de payer. Basta con il pizzo e forza Addiopizzo! Cordiali saluti, Massimo ».
Mon expérience du pizzo est anecdotique, mais symptomatique de ces méthodes. A Rome, au début des années 80, je loue un studio, j’emménage, et l’on frappe à la porte. C’est un vieux monsieur bien mis, en costume noir, le chapeau à la main, qui me dit Signore, vous devez payer l’assurance. Je réponds que j’en ai déjà une, mais il insiste, la vôtre, c’est pour rembourser les vols, mais avec la nôtre, vous ne serez jamais volé. Comme il avait l’air d’un petit fonctionnaire du crime organisé de quartier, que je n’avais rien de valeur et que sa demande était très modeste, j’ai payé il pizzo et il a collé sur ma porte un macaron qui devait signifier « ne pas toucher, a payé ». Par contre, le Consul Général français à Naples a été bien moins coopératif. A peine installé dans la belle résidence de France en haut de la colline du Vomero, le collecteur local sonne et lui fait la même demande. Il se serait alors drapé dans sa dignité, « on ne fait pas chanter la France », et l’aurait mis dehors, ce qui aurait fait se tordre de rire les journaux locaux. D’autant plus qu’au retour d’un voyage à Paris, il aurait trouvé la résidence cambriolée. Il ne manquait que des cigarettes, des disques, des bouteilles et le collecteur était revenu pour lui dire alors, vous avez vu ce qui est arrivé, la prochaine fois, ce sera pire. A sa demande, le gouvernement italien, et j’imagine la mine de l’employé des Affaires étrangères qui avait dû s’y coller, avait dû faire le nécessaire auprès de la Camorra napolitaine. La France n’avait donc pas payé il pizzo, à l’époque, alors qu’elle se prépare à le faire, aujourd’hui.