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Arroseur arrosé

A Dallas, en mai 2018, tout avait bien commencé dès le premier jour, les exposants frôlaient le millier, un record absolu, et les participants les cent mille, un score très élevé.
Les ventes étaient au plus haut et tout était prêt pour la grande convention, qui réunirait plus de 30.000 personnes dans l’immense salle des congrès de la ville.

Le jour venu, on s’entassait dans la nef caverneuse, tandis que sur les écrans géants, on repassait la vidéo d’un vieil acteur plus très frais qui brandissait avec la tremblote une vieille pétoire et articulait avec difficulté des formules pompeuses.

Le grand discours allait commencer, la tribune était au complet, personnalités politiques, du monde des arts, industriels, journalistes, animateurs, et c’est à ce moment précis qu’ils entrèrent par les issues de secours, ils étaient habillés de noir et armés jusqu’aux dents avec les derniers modèles de fusil d’assaut, qu’ils avaient achetés la veille sur les stands de l’exposition, quand on y repensa, après, quel coup de génie de leur part.

Ils tirèrent dans le tas et, comme le dit plus tard l’analyste militaire d’une grande chaîne américaine, « ils ont fait un sacré score (« a good hit ratio ») compte tenu de leur entraînement limité et de leur armement ». Le score s’était en effet arrêté à 658 morts et 1200 blessés graves, une vraie performance, même pour les USA.

Le plus gênant fut d’avoir à expliquer que la convention en question était celle de l’Association Nationale de la Carabine (« National Rifle Association », ou « NRA ») et que la majorité des victimes étaient des membres de la NRA.
Il fallut aussi quelques détours de langage pour préciser le fait que l’on avait demandé à tout le monde de laisser leurs flingues à l’entrée, et que les tueurs eux aussi étaient membres de la NRA, déçus par « la mollesse récente de l’attitude » de leur lobby

Ils voulaient faire un petit coup de pub.

Et de fait, les conséquences de cette attaque furent plutôt bénéfiques pour l’association.

D’abord, on nota un accroissement de 0,5% de nouveaux adhérents, soit 25.000 de plus que les cinq millions qu’elle comptait avant l’attaque, et comme celle-ci n’avait fait que mille morts ou blessés parmi les anciens adhérents, de ce point de vue-là, c’était assez satisfaisant. Certains dirigeants se félicitèrent même en privé du renouvellement.
Par ailleurs, les ventes d’armes augmentèrent sensiblement, aidé par une campagne de promotion après l’attaque, qui montrait que si l’on avait laissé les participants à la convention garder leurs armes, le nombre de victimes aurait été très inférieur.

Enfin, les actions des compagnies qui fabriquaient les fusils d’assaut utilisés par les tueurs tombèrent subitement, car ceux-ci avaient été empêchés de faire un carton plus conséquent sur les amoureux d’armes, à cause de l’enrayement de leurs machines. Ils avaient été tués par les vigiles armés de l’association qui gardaient la salle qui avaient hésité à tirer lorsqu’ils avaient vu les badges NRA sur la poitrine des assassins, honorablement connus de la maison.

P.S. : Allez, si vous avez le temps, sur le site de la NRA et visionnez la bande annonce de la future convention qui se déroulera du 3 au 6 mai 2018, dont on espère qu’elle sera sans incident !
Extraits :
– “14 acres of guns and gear” (60.000m2 de flingues et d’attirail), 80.000 patriotes, 800 exposants
– “une bonne occasion de réunir sa famille” dit un père radieux
– « on vient chaque année » disent deux adolescent ravis

Grand vide au Moyen-Orient

On leur avait pourtant dit de tous côtés d’arrêter de forer sans retenue, n’importe où et n’importe comment. Mais l’appât du gain, les besoins financiers pour payer les travaux gigantesques et somptuaires dans leurs capitales, sans compter leur train de vie personnel, tout cela fit qu’ils continuèrent, les dirigeants du Moyen Orient, à forer, forer, forer, de plus en plus profond et de plus en plus large.
Ce qui devait arriver se produisit, un jour tous ces trous, ces cavités gigantesques vidées de leur contenu visqueux, ou de leur gaz, se réunirent entre elles, la surface de la terre de la région se mit à trembler et badaboum, une nuit, un immense trou unique se forma, presque tout le Moyen Orient y disparu et la mer s’y engouffra.
Dès le matin, quand la nouvelle tomba, les réactions furent mitigées.
Les politiciens étaient assez ravis car ils n’avaient jamais bien compris les enjeux de la région, toutes ces tribus, ces variantes de l’islam, cette écriture en vermicelle, tout ça leur cassait un peu les pieds et ils redoutaient comme la peste les questions des experts affutés sur la chose, en direct à la télé ou la radio. Dans les réunions internationales, à l’ONU par exemple, ou sur le terrain dans la région, pas de souci, il y avait toujours des dizaines d’experts qui leur préparaient des discours intelligents qu’ils lisaient avec application.
C’est d’ailleurs là que la disparition du Moyen Orient fit le plus de dégâts, chez les historiens, les chercheurs, les diplomates ou du moins les rares qui entravaient sur la région. En France, la panique à l’EHESS, au CNRS, à Science Po’ fut égale à celle que l’on avait connu à la fin de la guerre froide, même chose dans les universités aux USA et en Grande-Bretagne.
On nota par ailleurs le fait que les deux seuls pays qui étaient resté au bord du gouffre étaient Israël et le Liban, et que tous les pays qui étaient passés à la trappe étaient musulmans, ce qui provoqua une volée de fake news et de théories du complot en ligne, qui se dissipa vite.

Les plus fumasses, finalement, ce sont les gens du Louvre, dont certaines des plus belles pièces gisent par des centaines de mètres de fond, quelque part.