Le plus jeune président d’un des plus vieux pays d’Europe s’était adressé au peuple. A peine avait-il terminé que tout le monde lui était tombé dessus, scandale, comment osait-il, pour qui se prenait-il, il se croit déjà réélu, trahison, menace sur la démocratie, etc.

Personne ne semblait avoir remarqué le ton monocorde, l’œil las, ni même le petit sourire un peu mélancolique, ou résigné, vers le milieu du discours. La vérité, c’est qu’il en avait assez du pouvoir, qu’il en était vacciné, en quelque sorte et qu’il n’avait aucune intention, à l’âge de quarante-cinq ans, de s’enfermer dans un bunker pour cinq ans de plus avec une population, un parlement et des journaux hostiles et mesquins. Il se préparait donc à jouer un bon tour, égal à celui qui l’avait porté au pouvoir contre toute attente, cinq ans auparavant. Il voulait lire, marcher, réfléchir, écrire, dormir et si jamais il faisait fortune, ce serait seulement par mégarde. Il attendait donc la dernière minute pour annoncer qu’il ne se représenterait pas, il savait que l’annonce ferait un gros effet pendant deux jours, puis que tous se concentreraient sur les candidats qui s’entredéchireraient comme des loups pour la place qui avait été laissée chaude par ce miracle inattendu.

Alors qu’il buvait un spritz au mois de juin 2022 sur la terrasse ensoleillée d’une bel hôtel de la côte amalfitaine, l’ancien président bronzé, en short et tee-shirt, s’amusait du fait que son successeur semblait appliquer à la lettre l’intégralité du programme politique qu’il avait présenté dans son discours totalement oublié de novembre de l’année précédente.

” J’aurais mis le train sur les rails”, pensait-il, puis il alla prendre le bateau pour Capri.